L’essor que prend depuis peu la notion de « territoire » au sein de la littérature consacrée à l’écologie, à l’énergie, à l’aménagement du territoire, à la gouvernance, au droit et à l’économie est tout à fait remarquable. Qu’il s’agisse de livres, d’actes de colloques, d’articles scientifiques ou de presse, cette notion revient de plus en plus fréquemment et l’attention qui lui est portée est de plus en plus soutenue. France Nature Environnement, la fédération des associations écologistes, lui a d’ailleurs consacré un colloque pour ses 40 ans d’existence, lors duquel plusieurs ministres et hauts responsables étaient venus s’exprimer sur ce concept devenu essentiel pour penser l’évolution du monde et la protection de l’environnement. A n’en pas douter, ce concept connaît actuellement un envol tout à fait comparable à celui de « développement durable » mais devrait sans doute connaître une existence assez différente. Les acteurs de la protection de l’environnement sont en effet habitués à voir apparaître tous les trois mois des termes ou expression qui sont rapidement recyclés par l’industrie de la publicité, du marketing et du management : « développement durable », « comportements responsables », « eco gestes », « compensation », « équitable ». Certaines de ces expressions ont une espérance de vie très courte en ce qu’elles ne renvoient à aucune réalité juridique ou économique. D’autres, au contraire, malgré leur récupération médiatique, continueront de servir d’instruments d’élaboration des politiques publiques de demain. Parmi ces instruments, le concept de « Territoire » devrait avoir une importance singulière. Le motif premier en est qu’il a déjà une histoire non seulement intellectuelle mais aussi sensible. Le motif second est que ce concept est au centre d’une galaxie de termes déjà bien dense : « terroir », « pays », « mondialisation », « frontière », « décentralisation », « proximité », « temps », « principe de subsidiarité », etc… Le troisième motif qui convainc de l’importance de ce concept tient à ce que la crise écologique à laquelle nous sommes actuellement confrontés nous contraint de repenser nos territoires, du local au global. Plusieurs exemples illustrent ce propos. Le premier a trait à l’agriculture. Il n’est plus aujourd’hui que d’ « agriculture de proximité », de « circuits courts », de maintien d’une « agriculture paysanne » (cf. AMAP), de « saisonnalité » etc… Passé l’excitation de manger des fraises toute l’année, le consommateur est invité à respecter les saisons, à consommer des produits économes en transports et donc en hydrocarbures. Reste que ce que l’on entend par « proximité » dépend nécessairement de ce que l’on entend aussi par « territoire de référence ». Quand commence et où s’arrête la proximité ? La question est identique pour le traitement des déchets. Le principe de proximité, dont la valeur juridique contraignante est encore discutée par le juge, signifie que le déchets doivent être traités, c’est-à-dire stockés, valorisés, recyclés ou réutilisés à peu de distance du lieu où ces produits sont devenus des déchets. Le but est une fois de plus de réduire la part des transports. Reste que la définition du rayon de proximité pour ces opérations de traitement suppose de nouveau celle du territoire de référence. Troisième exemple : l’étalement urbain. Le débat fait aujourd’hui rage sur la création des « éco polis » (cf. rapport de la mission Attali), la prolifération des lotissements, l’allongement des distances domicile-travail. L’artificialisation des sols en raison d’un urbanisme peu maîtrisé est l’une des causes premières de destruction de l’environnement selon l’IFEN dans son rapport sur l’état de l’environnement en France en 2006. La réflexion porte en conséquence sur la définition de territoires de référence pour lutter contre l’étalement urbain, mieux articuler l’urbain et le rurbain, le centre et la périphérie, la question étant d’autant plus complexe que toutes ces notions sont dans certains cas très floues. Ces trois exemples démontrent qu’il nous faut repenser nos territoires, du communal à l’international, et redéfinir aussi les lieux de décision, la répartition des compétences, l’articulation du public et du privé. Cette prise en compte des territoires est essentielle et, avec le recul, il apparaît clairement que la difficile mise en œuvre des engagements du Grenelle de l’environnement tient essentiellement à l’absence de prise en compte des territoires. Ainsi, la résistance de nombreux élus locaux, de droite et de gauche à la mise en œuvre a été mésestimée par les acteurs et pas seulement par les représentants de l’Etat. Prenons l’autoroute A65 (Pau-Langon) : des élus de droite comme de gauche, de l’UMP au PS, se sont battus pour que ce projet irrationnel suive sa course, au mépris de l’esprit du Grenelle. Face à cette résistance du local, il est frappant de constater que l’Etat n’est qu’un nain politique contraint de signer les autorisations qui lui sont demandées. Autre chose : les engagements du Grenelle sont largement le fait de représentants très parisiens, discutant et négociant à Paris. Certes, au mois de septembre 2007 une consultation en régions a eu lieu mais elle s’avéra un échec complet, les participants aux réunions en région étant uniquement invités à commenter des propositions rédigées ailleurs. Comment s’étonner dés lors que ces mêmes personnes fassent preuve d’un enthousiasme très modéré pour s’investir dans l’après Grenelle ? A l’inverse, la tentation de la démagogie n’est jamais loin : une vision globale, c'est-à-dire nationale et mieux européenne des dossiers est souvent indispensable. Hervé Juvin, dans son ouvrage « Produire le monde » (éditions Gallimard), plaide pour une nouvelle croissance écologique fondée sur la production et non le pillage de biens naturels, souligne à son tour : « La notion de territoire et de frontière va reprendre toute son actualité, comme base de mutualités choisies et comme consentement au partage. Car le point, et aujourd’hui indépassable, des produits collectifs est qu’ils dépendent d’un territoire en commun, et que le grand retour du territoire comme réalité politique et morale structurante est l’un des effets majeurs de la production du monde ». La notion de territoire fait donc son retour, un peu à la manière des cycles de l’histoire. Reste à passer à la pratique. Ici ou là des expérimentations se mettent en place pour constituer des territoires de référence et dépasser les limites des structures intercommunales dont la complexité devient intenable et couteuse. Qu’il s’agisse de faire de l’éducation à l’environnement, de l’agriculture, de la gestion des déchets ou de penser les infrastructures routières et les besoins en logement, il convient désormais de trouver les territoires de références pour concevoir et appliquer des politiques publiques intelligentes et respectueuses de l’environnement. On imagine bien que certains nostalgiques des féodalités tenteront d’instrumentaliser ce concept pour alimenter la nostalgie d’une France rurale idéalisée et largement imaginaire. Toutefois, ces derniers n’auront pas compris que le territoire est aussi européen ou international et que toutes ces catégories de territoires doivent s’articuler et se répartir des compétences. Ces derniers n’auront pas davantage compris que la notion de territoire est désormais déconnectée de celle de frontière et suppose aussi une réflexion sur ce qui n’a pas de territoire. La création de réseaux écologiques ne s’oppose ainsi pas au développement d’une agriculture de proximité mais en est, au contraire, une condition puisque les deux participent du maintien de la biodiversité. Ces quelques lignes ne permettent pas de faire le tour de la question et c’est pourquoi des thèses en droit ou en économie de l’environnement consacrées à ce concept devraient sans doute être bientôt rédigées.